Retraites, fiscalité et baisse de la TVA… Les mesures phare du programme économique de Marine Le Pen risquent d’être mal ciblées en plus de trop coûteuses, selon un économiste interrogé par Le HuffPost.
EMMANUEL DUNAND via AFP Marine Le Pen promet plusieurs réformes fiscales et économiques qui inquiètent la grande majorité des économistes. La candidate du RN ici photographiée le 13 avril 2022 à Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine.
PRÉSIDENTIELLE – Marine Le Pen a-t-elle réussi à “dédiaboliser” aussi son programme économique et à le rendre plus crédible? En axant sa campagne sur le pouvoir d’achat, “la redistribution et la protection sociale”, Marine Le Pen s’est qualifiée, une seconde fois pour le second tour de la présidentielle, rassemblant 23,2% des suffrages exprimés ce 10 avril.
Mais le programme économique et fiscal de la candidate s’attire toujours les principales attaques de la Macronie et les critiques de la grande majorité des économistes. Ces derniers pointent, tour à tour dans la presse, le risque d’un “Frexit” à peine voilé -malgré son reniement sur la sortie de l’euro- et un programme trop coûteux, mal chiffré et non maîtrisé pour les finances publiques et la dette, quand il n’enfreint tout simplement pas la Constitution. En réponse, la candidate martèle que son programme est “travaillé” et ”à l’équilibre” sur le plan budgétaire.
“Son programme nous pousse tout droit vers la sortie de l’Union européenne, c’est une forme de ‘Frexit’ budgétaire, même si elle ne le dit plus”, explique au HuffPost l’économiste Éric Heyer, membre du Haut conseil des finances publiques et directeur du département analyse et prévision à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques).
“Sur le reste, elle fait de l’affichage social, mais on reste en fait sur une ligne libérale, car ses mesures fiscales sur la TVA concernent tous les Français. Elles ne sont pas fléchées et ciblées sur ceux qui en ont le plus besoin. Cela risque de conduire en fait à une économie à deux vitesses, car certains les utiliseraient plus ou mieux que d’autres”, résume-t-il, pointant aussi un “risque écologique”.
Une réforme des retraites, mais où est le gage de sérieux budgétaire?
C’est le clivage économique le plus visible entre les deux candidats. Marine Le Pen souhaite ramener l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans pour les Français ayant commencé à travailler avant 20 ans. En tout cas pour ceux qui ont validé au moins 40 annuités. Depuis février, elle a en revanche fait des réajustements pour tous les autres: ceux étant entrés dans la vie active entre 20 et 24,5 ans pourraient partir entre 60 ans et 3 trimestres et 62 ans, toujours au niveau de l’âge légal et pas forcément à taux plein. Le système serait inchangé pour les autres, notamment pour ceux qui ont eu des carrières hachées.
Beaucoup de personnes seraient ainsi concernées par une baisse de l’âge possible de départ légal. Selon les statistiques ministérielles, 70% des validations d’un premier trimestre ont eu lieu, en moyenne, à 22,3 ans pour la classe d’âge née en 1982 qui a aujourd’hui 40 ans. La candidate prévoit par ailleurs de réindexer les retraites sur l’inflation et revaloriser le minimum vieillesse à 1000 euros.
“La candidate propose un retour à la situation d’avant 2003 en matière de mesures d’âges et du nombre de trimestres nécessaires pour obtenir la retraite à taux plein”, résume l’Institut Montaigne, qui avance un coût très élevé pour cette réforme. Le think tank libéral, réputé proche du patronat, réévalue le coût de cette mesure comparé au chiffrage du RN, le faisant passer de 9,6 milliards d’euros par an à 26,5 milliards.
“Son programme sur les retraites, comme celui de plusieurs autres candidats, n’est pas assez précis pour être évalué. Mais ce sont la direction dans laquelle elle veut aller et le signal envoyé qui sont les plus importants”, répond de son côté Éric Heyer. “Comme Emmanuel Macron, Marine Le Pen promet de nouvelles baisses d’impôts, mais pour les financer elle avance une baisse de la contribution au budget européen de 5 milliards qui serait une ligne rouge pour l’UE”.
Pour financer sa réforme, la candidate propose également d’exclure les étrangers des prestations sociales ou encore de nouvelles économies dans le budget alloué à certaines agences de l’État. ”À l’inverse, la réforme (très impopulaire selon les sondages, NDLR ) proposée par Emmanuel Macron est facilement quantifiable. Si on met de côté les impacts possibles sur le chômage ou l’assurance maladie, quand vous augmentez d’un an l’âge de départ à la retraite vous gagnez actuellement 7 milliards d’euros chaque année”, poursuit-il.
“On peut privilégier et s’attaquer à d’autres ressources possibles, comme la lutte contre la fraude fiscale, le problème c’est que c’est plus difficile, car hors radar et gagner 1 milliard, comme sur l’ensemble du quinquennat actuel, cela paraît déjà pas mal. Au-delà de la question politique, quand vous avancez une réforme des retraites, c’est beaucoup moins discutable sur le plan budgétaire”, ajoute-t-il. “C’est aussi une façon de donner des gages de contrôle budgétaire à nos partenaires européens et à l’Allemagne, même si le pacte de stabilité a été mis en parenthèse jusqu’en 2023 à cause du Covid et de la guerre en Ukraine”.
Un “quoi qu’il en coûte” flou et pas écolo sur le pouvoir d’achat
C’est l’axe principal de sa campagne et du revirement politique et économique du RN depuis qu’elle en a pris la tête. Marine Le Pen se pose en “candidate du pouvoir d’achat”. Pour appuyer sa position, la candidate propose de baisser la TVA sur les carburants de 20 à 5,5% et de fixer à 0% celle de 100 produits alimentaires et d’hygiène dits de première nécessité.
La candidate y inclut “les fruits et les légumes, le sel, le poivre, l’huile, le pain, les pâtes, les serviettes hygiéniques ou les couches pour les bébés”, mais sans liste arrêtée. Objectifs affichés? Lutter contre l’inflation tant qu’elle dépasse les 1%, “rendre l’argent des Français” et éviter “l’appauvrissement des classes moyennes”, assure-t-elle. Manque à gagner estimé pour les caisses de l’État? 3,5 ou 4 milliards d’euros par an, selon la candidate qui financerait ce geste fiscal par une surtaxe sur certaines entreprises cotées en bourse.